Ce pauvre imparfait !  

Céline Pastor 

  • Qu'est-ce que tu fais là tout seul assis par terre ? Tu pleures ?

  • Non, je ne pleure pas.

  • Mais si, tu pleures. Qu'est-ce que tu as ? Je t'ai dit quelque chose.

  • Tout le monde me dit la même chose. « Tu es imparfait, tu es imparfait ». Je me sens gros, moche, minable ... je me déteste.

  • Oui, mais « imparfait », c'est ton nom !

  • Tu parles ! Toi, tu as de la chance , le beau passé composé d'un tas d'aspects. Tu as tellement de qualités, de charisme. Les gens t'apprécient, tu es inattendu, tu sais maintenir le suspens, tu arrives comme un cheveu sur la soupe et hop ! Tu crées la surprise ! Quand ils parlent de toi, les gens ont les yeux qui pétillent, ils ne font pas que raconter, ils exultent leur récit scandé de rires, de cris, de « eh, alors », de « et tu ne devineras jamais », de « je te raconte pas », de « vous ne savez pas la dernière » ... Et finalement, tu épates l'auditoire de celui qui te sublime par ses mimiques et ses onomatopées. Moi, je ne sers à rien, je suis facultatif, on m'oublie souvent et quand bien même la nécessité pousse le locuteur à m'utiliser, ce n'est que pour exprimer des banalités sur le temps qu'il fait ou l'heure qu'il est ou le nombre de personnes qui marchent dans la rue. Que des trucs sans intérêt et dont tout le monde se fout.

  • Mais non, pas des trucs sans intérêt. Comment nos interlocuteurs pourraient-ils visualiser mes actions sans ton aide ? Écoute : quand on dit « Je suis passé dans une petite rue étroite. Il faisait nuit », c'est pas comme « Je suis passé dans une petite rue étroite, il était dix heures du matin ». C'est quand même bien toi ici qui donne l'atmosphère. Et même dans la première phrase, tu ferais presque peur.

  • Tu crois ?

  • Je ne crois pas, j'en suis sûr. Eh, tu te souviens de ton ancêtre mis à l'honneur par Victor Hugo pour décrire sa cathédrale ? Belle réussite, hein, la grande classe !

  • Oui, je sais, mes parents m'en parlent tout le temps. C'est la fierté des imparfaits. Depuis personne n'a aussi bien réussi. Et comme le temps court par les temps qui courent, personne ne s'arrête pour décrire la moindre niche pour chiens.

  • Mais non, toi aussi, tu peux avoir un jour ton heure de gloire.

  • Tu crois qu'un jour j'aurai un scénario rien que pour moi.

  • Je ne sais pas mais ... si déjà tu fais d'importantes collaborations, ce sera déjà pas mal.

  • Mais où ?

  • Je connais du monde dans le cinéma. Je te présenterai.

  • Vraiment ?

  • Vraiment. Ça va mieux maintenant ?

  • Oui, mais tu restes avec moi.

  • Bien sûr, je te l'ai dit : j'ai besoin de toi ! 

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Philippe (samedi, 16 janvier 2016 15:53)

    Belle idée d'associer un blog à ce site dédié à l'apprentissage du français.
    Chacun est invité à contribuer et à s'exercer aux subtilités de notre belle langue de manière ludique.
    Encore bravo pour cette initiative

  • #2

    Céline Pastor (samedi, 23 janvier 2016 15:25)

    Merci beaucoup Philippe,
    Nous voulons en effet que les personnes apprenant le français s'exercent à la langue écrite, mais aussi apportent leur regard culturel sur l'actualité et la société françaises. Pour que la liberté d'expression dépasse toutes les frontières !